La main du maître

J’avais dix ans lorsque mon sein gauche s’est mis à pousser comme un petit bouton de rose. Mais il n’y avait que le gauche.

J’étais en CM2 à l’école française Auguste Renoir de Marrakech. Je regardais mes camarades de classe, certaines étaient plates, d’autres avaient des poitrines développées, mais aucune n’avait un seul sein. Je m’inquiétais et commençais à penser que je ne serai jamais normale. Femme à un seul sein dans une foire, entre la femme à barbe, l’homme éléphant, la femme sirène, les frères siamois, quel serait mon destin ?


Ma mère m'emmena chez le médecin qui nous rassura, disant que c’était courant, le sein droit pousserait bientôt. Je me mis à surveiller quotidiennement ce bouton qui ne sortait pas. Le temps me parut très long. 


Un jour, en classe, nous faisions un exercice sur nos cahier du jour. Le maître passait dans les rangs, les mains dans le dos jetant des coups d’oeil à droite et à gauche sur notre travail. Très appliquée, je trempais ma plume dans l’encre violette et traçais les pleins et les déliés, le buvard en sous-main pour éviter les pâtés. Le maître se pencha alors au-dessus de mon cahier, posant sa main sur mon épaule. Je m’attendais à ce qu’il fasse une remarque mais il n’en fit rien. Il se contenta de glisser sa main dans l’encolure de mon tee-shirt jusqu’à mon petit bout de sein naissant. Je ne comprenais pas ce qui arrivait. Je restai figée. Il tata mon petit mamelon puis retira sa main et continua tranquillement sa déambulation les bras dans le dos. 


Pourquoi avait-il fait cela ? Avait-il remarqué qu’il n’y en avait qu’un, que j’étais anormale ? J’étais morte de honte.


Je n’ai raconté cela ni à mes parents ni à personne.


J’ai appris, plus tard, qu’une des élèves (qui avait une vraie poitrine, elle) lui avait flanqué une gifle et que ses parents avaient été convoqués. Je crois qu’elle avait été punie. Mes camarades ignoraient pourquoi cette gifle, moi j’avais ma petite idée. 

Commentaires

  1. On comprend la déception, l'inquiétude, qu'a pu provoquer ce retard de développement, puis la honte, après le geste, pour le moins déplacé, de cet enseignant ! Des souvenirs pas si faciles à oublier, écrits avec beaucoup d'émotion, et de délicatesse.
    Bonne journée

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    1. Encore un texte que j'ai hésité à envoyer car très intime. Je parle plus facilement de ce geste aujourd'hui mais suis restée longtemps silencieuse à son sujet. Merci Antoine pour ton commentaire.

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  2. Tout d'abord un grand merci pour la confiance que tu nous fais en confiant ce texte.
    Je comprends tout à fait le début, que d'ailleurs tu exposes avec beaucoup de délicatesse, qui évoque les transformations du corps à la pré adolescence. Mais l'attitude du maître me révulse profondément. S'il y a un anormal c'est lui. Mais aussi l'environnement de l'époque où ce genre de comportement inadmissible était somme toute considéré comme tout à fait ordinaire. En revanche ce qui est intolérable c'est de gifler le maître. Et donc il est normal que ta camarade soit punie…
    Tout va bien dans le pire des mondes !
    La force de ton texte est une écriture « neutre » (si on peut dire). Une sorte de récit clinique d'une réalité dont tu fus victime et témoin.
    Un texte qui me restera marquant.

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    1. Merci Alain de légitimer mon article. L'attitude anormal du maître est en effet révulsante. A l'époque, l'affaire avec ma camarade a dû être étouffée pour ne pas faire de vagues.

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  3. Après l'attitude du maître, je trouve tout à fait légitime la gifle que lui a donné ta camarade. Aller lui toucher le sein, c'est inacceptable, et c'est lui qui aurait dû avoir un blâme.
    Sinon, c'est vrai qu'à la puberté, notre corps nous inquiète, et nous avons tellement peur de ne pas être comme les autres...
    Merci pour cette confidence, Myrte.

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    1. Comme toi Françoise je trouve légitime cette gifle qui a dû être donnée par ma camarade pour se défendre. Je ne sais pas exactement ce qui avait été dit lors de l'échange avec ses parents mais le maître n'a pas dû être inquiété car il a continué son enseignement. Heureusement aujourd'hui ça ne passerait pas aussi facilement.

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  4. Une histoire qui m'a sidéré ! Il est vrai qu'à une certaine époque, le maître d'école était le MAÎTRE...
    Se permettre de tels geste plus que déplacé, tout comme Alain, me révulse totalement.
    Quant à la transformation du corps, à l'adolescence... Je me suis posé aussi, bien des questions, lorsque plus je me regardais, et plus je trouvais que mes seins à moi, se développaient ; déjà qu'il arrivait que l'on me confonde avec une fille... En fait, après une consultation chez le médecin de famille, que je n'aimais pas, il s’avéra que j'étais tout à fait "normal". Ce n'était pas tout à fait le cas d'un camarade de pension, qui lui, avait réellement les seins qui se développaient. Que de railleries, il a subi, et combien de questions s'est-il posées, avant qu'un médecin ne pose un nom : gynécomastie, et le rassure quant à l'évolution de se déséquilibre hormonal.

    ps : un blog que je vais épingler à mes marques-pages.

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  5. En effet Xoulec, d'ailleurs on disait plus souvent le Maître que l'instituteur. Merci pour ton temoignage et ta confidence. Cela a dû être un cap difficile à passer pour toi et la vie de ton camarade a dû être chamboulée. Merci aussi de m'epingler dans ton marque-page.

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