Françoise Hardy
J’avais huit ans, ma soeur en avait douze. Elle lisait le magazine Salut les copains et écoutait l’émission d'Europe n°1 sur son transistor. Elle connaissait toutes les chansons.
C’était les grandes vacances dans le cabanon familial de Bouznika, sur la dune, face à l’océan.
Pendant les heures calmes du début d’après-midi où nous restions à l’ombre pendant que les adultes se reposaient, nous écoutions les succès du moment.
J’entendais une voix douce murmurer : tous les garçons et les filles de mon âge se promènent dans la rue deux par deux.
Je les voyais sur la plage ces groupes de filles et de garçons qui avaient l’âge de notre cousine Jeannine. Elle aussi avait parfois un amoureux.
Cela ne me concernait pas, j’étais trop petite. Peut-être que dans un avenir lointain, j’en aurai un moi aussi. Mais j’aimais bien chantonner ces paroles.
Je tiendrai peut-être quelqu’un par la main moi aussi. Je serai peut-être assise sur le sable frais de la fin d’après-midi, en cercle avec des amis autour d’un feu à jouer de la guitare. C’était un passage obligé avant de devenir adulte.
J’aurai peut-être moi aussi du vernis rouge sur les ongles et un trait noir sur les yeux. J’aurai les cheveux longs, un pantalon corsaire. J’aurai comme ma cousine un maillot de bain deux pièces avec bikini et balconnets. J’aurai comme elle une trousse avec un petit miroir, de l’ambre solaire pour rendre la peau dorée et d’autres secrets. J’aurai des lunettes de soleil de star.
La voix douce disait : oui mais moi, je vais seule par les rues, l’âme en peine, oui mais moi je vais seule car personne ne m’aime.
C’était d’une tristesse infinie mais si beau. Moi aussi j’aurai quelqu’un qui me dira je t’aime et ma vie ne sera plus jamais la même.
Moi aussi, je serai une femme avec un sac à main, des chaussures à talons, du rouge à lèvre.
Pour l’instant, je sautais sur la dune avec mes cousins. Je creusais des tunnels dans le sable mouillé jusqu’à l’heure de la baignade. Je me laissais alors rouler, la tête à l’envers, dans les vagues. Je buvais la tasse et toussais. Puis nous revenions en courant au cabanon pour dévorer de grandes tranches de pain matlouh avec de la confiture de prune.
Et la voix douce disait : où les yeux dans ses yeux et la main dans sa main, j’aurai le coeur heureux sans peur du lendemain.
C'est une chanson qui a marqué notre enfance, notre adolescence. Je l'ai souvent chantonné et je peux la chantonner encore "Oui mais moi je vais seule, par les rues, l'âme en peine, ou mais moi je vais seule car personne ne m'aime".
RépondreSupprimerJ'ai fait le choix de cette chanson car je me souviens parfaitement de l'endroit et du moment où je l'ai entendue, comme je le raconte dans mon texte. Dans ma tête de petite fille, j'avais notion de mon état en devenir et j'observais beaucoup les adultes, me demandant bien ce que serait ma vie.
SupprimerJ'avais 14/15 ans à l'époque de cette chanson. Comme garçon ça ne m'empêchait pas de coïncider avec les paroles de la chanteuse. existera-t-il un jour une fille qui s'intéressera à moi ? Compte tenu de ma situation physique, mon handicap, sûr que ça n'arrivera jamais !
RépondreSupprimerComme il est dit dans la chanson de Brassens : « la suite me prouva que non ».
Je dis ça parce que la chanson n'a pas concerné que les jeunes filles ! Et sans doute que comme les mecs à cette époque j'ai fait le fier à bras ! Les filles ça ne fait que rêver !
N'empêche, encore aujourd'hui, je ne peux écouter la chanson sans émotion et souvenirs qui reviennent.
J'aime beaucoup la tonalité de ton texte, et comment tu te projettes dans un avenir qui viendra… tu as vraiment une belle écriture évocatrice.
Et puis je suis allé à la découverte du pain matlouh ! Ça a l'air super bon !
Lorsque je pense à ces vacances à Bouznika, la chanson de Françoise Hardy en fait partie. Il y en avait d'autres bien sûr mais je ne sais pas pourquoi celle-ci a pris le dessus. Le pain matlouh est en fait le pain marocain. Nous n'en mangions qu'à Bouznika car il n'y en avait pas d'autres. J'adorais ça !
SupprimerMoi, j'ai le souvenir d'avoir entendu ces chansons, dans le transistor que ma sœur E..... emmenait lorsque nous partions des après-midi, garder les vaches.Quant aux "salut les copains", je ne comprenais pas ce que mes sœurs pouvaient bien y trouver ? Enfin, faut que je précise que pour la sortie de cette chanson, je n'étais pas né ; donc vraiment petit, ceci expliquant cela.
RépondreSupprimerLe transistor a été longtemps pour nous une fenêtre ouverte sur le monde à une époque où il n'y avait pas internet et même pas la télé car mon père n'en voulait pas (nous l'avons eue plus tard). Il y avait Salut les copains car ma soeur aimait être au courant des nouveautés du showbiz mais pas que. Je me souviens aussi des histoires qui faisaient peur qu'on écoutait le soir dans le lit et qui nous donnaient des cauchemars et aussi des émissions enfantines avec des jeux où il fallait donner la réponse par écrit. Ma soeur répondait en mon nom pour ne pas que le sien soit cité à la radio mais moi j'étais fière de l'entendre sur les ondes. On gagnait des livres.
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