Boomerang

J'avais écrit cet article dans mon blog précédent qui est parti en poussière à peine né. J'ai eu envie de le publier dans ce nouveau blog parcequ'ils le méritent bien. Ils ? Le voilier et l'homme...

L’homme de ma vie a une passion, la voile. D’ailleurs c’est aussi ce qui nous a amenés à venir vivre en Corse. Il s’acheta donc un petit voilier nommé Boomerang qu’il passa tout un hiver à retaper et à améliorer. Il refit à bord toute l’installation électrique et l’électronique. Chaque fois qu’il achetait un nouvel élément, il croisait mon regard furibond mais silencieux et croyait entendre le début de la chanson Money des Pink Floyds avec le son de la caisse enregistreuse. Je n’avais de furibond que le regard car pour sa passion, je ne pouvais rien lui refuser, c’était plus fort que moi, ça le rendait trop heureux et j’aimais le sentir comme ça. 


Donc ce bateau c’était son jouet, sa raison de vivre, son bonheur, l’objet de ses rêves. Mais nous n’avons que très peu navigué dans la baie d’Ajaccio. Ses rêves de canotage autour de l’île, de voyage jusqu’à la Sardaigne et même plus loin sont brutalement tombés à l’eau ( …facile…) le jour où il s’est mis à avoir le mal de mer. C’est vraiment ce qu’il y a de plus ballot pour un capitaine. Un problème d’oreille interne opéré il y avait déjà quelques années et qui se la ramenait alors qu’on ne l’attendait plus. De plus, comble de malchance, une terrible tempête nommée Adrian n’avait pas trouvé mieux que de tournebouler dangereusement la mer. Les amarres de Boomerang avaient tenu bon, il était solidement attaché et s’était vaillamment défendu contre le gros temps si les deux gros bateaux qui se trouvaient de part et d’autre de lui ne s’étaient mis à le bousculer, à le balader à droite et à gauche, à le faire valdinguer, à le malmener tant et si bien que les cordages ont fini par céder et qu’il s’est retrouvé au milieu du port. 


Au petit matin, quand le calme est revenu, nous l’avons retrouvé amarré par les gens du port. Il avait méchamment dégusté. Ce fut un déchirement pour mon homme. Le bateau avait pris l’eau. Sur le pont, les chandeliers s’étaient vrillés et, même si à première vue il ne semblait pas avoir tant souffert, un ami spécialiste donna un verdict pessimiste : il y aurait trop de frais et de travail pour le remettre sur les flots. 


Les victimes comme nous de la tempête Adrian considérée comme catastrophe naturelle furent donc indemnisées. Contrairement à l’expertise d’une voiture accidentée, les bateaux ne sont pas retirés ensuite mais laissés au propriétaire, libre d’en faire ce qu’il en veut. Il fut donc mis en vente à un prix très modeste pour un courageux qui voudrait lui refaire un lifting ou bien en récupérer les pièces.


C’est alors que Jean-André, un SDF qui vivait dans son camion sur le quai des Torpilleurs, vint le négocier. Il avait beaucoup navigué, sa peau burinée en attestait et il rêvait de vivre sur un voilier. Mon homme n’a pas hésité à baisser encore le prix afin d’atteindre le modeste montant des économies de Jean-André, content de rendre un homme heureux. 


Boomerang fut alors amarré à un corps-mort au milieu de la baie et, à chacune de nos promenades le long du quai, notre jeu était de le repérer. Je voyais bien que mon compagnon avait le coeur serré devant son rêve brisé, mais, que faire devant des aléas contre lesquels nous sommes impuissants, à part essayer d’avoir un minimum de sagesse ?


Les tempêtes qui étaient autrefois presqu’inexistantes dans la baie d’Ajaccio sont devenues de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique. Chaque fois qu’il en arrivait une, nous ne pouvions nous empêcher ensuite de chercher du regard Boomerang pour vérifier s’il était toujours là. Le solide et courageux gaillard, toujours à sa place, semblait nous faire un clin d’oeil. 


Cela dura environ trois ans, et puis en novembre, une nouvelle tempête nommée Ciaran sévit sur les côtes corses. Le lendemain, lors de notre promenade, Boomerang n’était plus à sa place. Au loin, sur le rivage, nous distinguions un mat dressé au milieu des rochers mais nous ne voulions pas croire que c’était lui. Et bien oui, c’était lui. Il avait durement souffert, lamentablement échoué, la coque éventrée, le mat pantelant. Des morceaux épars avaient été dispersés autour. J’ai vu un peu d’humidité dans l’oeil de mon homme. Boomerang avait subi sa dernière tempête. 


Et bien non, ce n’était même pas la dernière. Le lendemain, Domingos est arrivé tout droit d’Amérique du sud pour mettre à mal le fragile esquif. Bien que déjà immobilisé, les vagues l’ont fracassé, broyé telle une coquille de noix. Boomerang ne ressemblait plus à rien.


Aujourd’hui, il reste un morceau dérisoire, calciné par des gamins sur la berge. Tout le reste a disparu en mer. 






 


















Commentaires

  1. Tu as eu raison de reprendre ce texte qui relate un événement qui fut important pour votre couple et votre famille.
    Je m'en souviens très bien.

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