Intermittente du spectacle

Chaque matin, je me rendais au lycée avec Eliane, une camarade de classe qui habitait dans le quartier, rue Ravat dans une petite maison rose. J’aimais bien cette maison, coincée entre les immeubles, résistante d’une époque révolue, avec sa petite cour et son air anglais. Lorsque j’arrivais, Eliane n’était jamais prête, souvent elle finissait son petit-déjeuner. L’odeur du café et du lait chaud me donnait la nausée. 

Nous partions dans le petit matin frais, cours Charlemagne, traversions les voûtes de Perrache, puis la place Carnot jusqu’à la rue Jarente où se trouvait l’annexe du lycée Juliette Récamier pour les classes de sixième et de cinquième. 

Nous étions trois ou quatre camarades à habiter Perrache et à nous retrouver le jeudi après-midi chez Eliane dans la cave de la petite maison éclairée par un soupirail.

Comme la prof de français avait demandé d’apprendre une poésie, une chanson ou tout autre chose à dire sur scène devant les parents pour la fête de fin d’année, j’avais eu envie de monter une petite pièce. J’avais dû beaucoup insister pour embarquer mes copines dans l’aventure, elles n’étaient pas très partantes. 

D’après un livre de Jean-Charles La foire aux cancres, trouvé dans la bibliothèque de mes parents, j’avais eu l’idée d’écrire des petits sketches utilisant les perles de potaches que l’auteur avait répertoriées. Je jouais le rôle de l’institutrice ( et du metteur en scène) et mes camarades celui des élèves. 

La pièce était simple, je posais des questions et chaque élève donnait des réponses  très drôles, piochées dans le livre.

La cave de la maison d’Eliane étaient idéale pour nos répétitions. 

Ce furent des répétitions laborieuses, entrecoupées de mémorables fous rires. Je sentais bien que mes camarades ne prenaient pas autant de plaisir que moi à monter cette pièce, elles n’y mettaient pas vraiment de coeur, ça les barbait et elles avaient hâte que ça finisse. Je dirais même qu’elles n’y mettaient aucune bonne volonté.

Le jour de la représentation, le trac et les trous de mémoire aidant, ce fut une catastrophe.

Les parents-spectateurs, très indulgents, grâce à une ou deux répliques réussies, trouvèrent malgré tout la pièce amusante et applaudirent chaleureusement. 

Cette expérience me fit prendre conscience, du haut de mes douze ans, que nous n’avons pas tous les mêmes aspirations et qu’on ne peut pas obliger quelqu’un à aimer ce qui nous anime soi-même.

En écrivant cet article, je réalise que, déjà petite, parmi nos jeux, ma préférence avait toujours été d’imaginer des histoires que je mettais en scène. J’entrainais mon petit frère dans l’aventure et il ne rechignait pas. Nous nous mettions dans le garage car nous aimions comme nos voix y résonnaient. Mon frère excellait dans les rôles d’ogre et de méchant car il avait, déjà enfant, une voix tonitruante. (Il chante actuellement comme basse dans un choeur). Si bien que cela donna l’idée à mon père de nous offrir pour Noël un magnétophone (obtenu avec les points Casino). On ne pouvait pas nous faire plus merveilleux cadeau. Nous avons enregistré des tas de cassettes racontant toutes sortes d’histoires. Elles doivent prendre actuellement l’humidité dans la cave de mon frère. 

Plus tard, alors que j’effectuais un stage pour passer mon BAFA, j’avais adoré le spectacle que nous avions monté et, ainsi, dans les différentes colonies de vacances où j’ai exercé ensuite, j’étais toujours volontaire pour animer l’atelier théâtre. 

Puis ma vie professionnelle et la naissance de mes enfants m’ont éloignée de cette passion tombée dans les oubliettes. 

C’est en fin de carrière, alors que je travaillais à mi-temps dans une garderie, qu’à l’occasion de la préparation de la fête de fin d’année nous avions monté avec mes collègues un petit spectacle pour les enfants. Une pièce où nous nous mettions nous-mêmes en scène. Le mi-temps nous donnait le loisir d’élaborer ce projet sur notre temps personnel.  

Notre chef de service spectateur fut si enthousiaste qu’il nous demanda de donner une représentation dans toutes les structures de la petite enfance de la ville de Valence. Il y en avait une bonne douzaine. L’évènement fit son chemin et certaines écoles maternelles de la ville de Valence nous réclamèrent. Nous avions même eu droit à un petit article élogieux dans le Dauphiné Libéré.  Nous étions une troupe très hétérogène, avec chacune notre spécialité mais toutes animées du même engouement pour ce projet. C’était le groupe dont j’avais toujours rêvé.

Ce furent mes plus belles années professionnelles.

En y réfléchissant aujourd’hui, je me dis que ce fut une sacrée chance d’avoir trouvé les bonnes personnes et que c’est surement cela le plus difficile. 

Voila, tout ça pour dire que j’ai l’impression d’être passée à côté d’une passion qui aurait pu être plus présente dans ma vie, mais c’est ainsi, je ne regrette rien.



Avec mes collègues de la garderie, je suis à gauche de la photo.

Commentaires

  1. Joli souvenir à lire. Il est des passions, qui parfois, mettent des années à mûrir, à s'accomplir. Le plus difficile, comme tu le soulignes, est de rencontrer les bonnes personnes, animées de la même passion. Mais cela ne fait pas tout. Il faut aussi qu'il y ait les fameux atomes crochus, qui facilitent l'amusement. Pour soi, et pour les autres.
    Bonne fin de dimanche

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    1. Oui Xoulec, je pense aussi que quand on veut réaliser un rêve, il faut s'en donner les moyens et trouver les bonnes personnes.

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  2. J'ai beaucoup aimé la manière dont tu relates les épisodes de ton enfance/jeunesse. C'est très touchant. On voit comment les tendances de fond sont présentes très tôt, comme cette aptitude et ce goût d'organiser et de mettre en scène des spectacles avec persévérance et détermination.
    Et puis tu m'as remis en mémoire ce livre de Jean-Charles « la foire aux cancres » dans les années 60. J'ai beaucoup lu et relu ce livre et aussi lu des extraits à mon entourage…
    Finalement cet intérêt pour l'organisation ne t'a pas quittée. Tu évoques le spectacle de fin d'année réalisé des années plus tard. Comme quoi…
    Autant que je me souvienne tu en avais parlé dans ton précédent blog disparu chez CanalBlog. Il y avait même une vidéo je crois bien. C'était vraiment super !
    Est-ce que tu es passé à côté d'une passion ? Peut-être pas… ce sont des dynamiques et des talents que tu as certainement investis d'une autre manière dans ta vie. C'est pourquoi tu ne regrettes rien ! (Enfin c'est ce que je pense…)
    merci pour ce chouette billet.

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    1. Merci Alain pour ton commentaire. Oui j'avais évoqué ce spectacle dans un texte sur Kaleidoplumes pour la .
      consigne "Un pas après l'autre" de janvier.
      Quant à ma créativité et mon goût de l'organisation,je pense comme toi.

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  3. C'est un joli récit. Ton goût pour le théâtre ne s'est pas émoussé. Et même si tu n 'en as jamais fait carrière, tu as pu t'y exprimer pleinement le temps venu.

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  4. Merci pour ce partage, Myrte. Je me souviens également que tu en avais parlé sur Kalé, je me souviens de la photo également. Je t'imagine bien sur scène. :-)
    Je pense que nous avons tous cette impression d'être passés à côté d'une passion, mais il ne faut en effet pas avoir de regret, c'est que ce ne devait pas être, notre temps et notre énergie, nous les avons passés ailleurs, dans d'autres domaines.
    Bonne soirée, Myrte.

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